samedi 31 janvier 2015

Pride of Baghdad

Brian K. Vaughan & Niko Henrichon,
ed. Panini Comics (coll. Vertigo)
"Le ciel tombe! Le ciel tombe!"
   Un beau matin, alors que le déjeuner n'était pas encore servi, le zoo de Bagdad a volé en éclat. C'est la panique chez les animaux et nombreux sont ceux qui s'échappent de leur cage. Devant une telle pagaille, quatre lions se questionnent. 
Que faire? Sortir d'accord, mais pour aller où? 

  Inspiré d'un fait réel, les auteurs américains, Vaughan & Henrichon se sont penchés sur les bombardements de Bagdad (Irak) à travers un point de vue assez atypique: celle d'une horde de lions.  


  Bien vite, l'appel de la liberté sonne aux oreilles de nos fauves qui mettent leur museau à l'extérieur de leur tanière de fer. En quête de nourriture, ils vont traverser la ville en ruines et rencontrer d'autres animaux aussi étranges les uns que les autres. Chacun ayant son point de vue sur la soudaine barbarie qui a lieu tout autour d'eux. Une bande de singes profiteurs, une tortue centenaire qui a vu tant de conflits qu'elle a finit par s'en moquer, une girafe bénissant sa bonne étoile... Tous sont persuadés d'une chose: l'occasion est trop belle pour ne pas la saisir

  La question de la liberté - et du choix - , et de comment elle doit d'obtenir, est le sujet central de cette bande-dessinée au dessin mixant entre la douceur des couleurs et la violence des images. 
Parmi les quatre lions, il y a la vieille lionne qui en a trop vu dans sa vie pour espérer quoi que ce soit de cette soudaine liberté et la femelle encore jeune qui a soudainement peur de cette chance arrivée trop vite. 
  Se retrouvant propulsés brusquement dans le monde des hommes (les "gardiens"), nos quatre lions vont devoir s'adapter à leur nouvel environnement, à la fois beau et dangereux où on risque sa vie pour un coucher de soleil. 

En conclusion... 
  Pride of Baghdad, par son sujet et ses protagonistes pourrait être une fable cynique mais les deux dernières pages de ce one-shot nous rappellent bien vite combien les faits réels sont parfois plus incroyables que l'imagination. Une vision crûe et féroce d'un début de guerre pas si lointain dans notre histoire contemporaine.

mardi 21 octobre 2014

La Légende de Manolo

ANIMATION MORTELLE.

  Il aura fallu attendre près de 14 ans mais l’attente en valait la peine. Guillermo Del Toro, producteur du nouveau et tout premier film d’animation tout droit sorti des Studio Fox de Los Angeles, nous livre une fable moderne pleine de vie et haute en couleurs : La Légende de ManoloCet animé ouvre la carrière de Jorge R. Gutierrez au cinéma. Et quelle entrée, mesdames et messieurs!

  Depuis l’aube des temps, les esprits traversent notre monde et leurs souvenirs sont ravivés lors de la Fête des Morts. Dans les terres reculées du Mexique, dans la ville de San Angel (qui porte bien son nom, d’ailleurs), presque île, utopie enclavée dans un paysage désertique, trois jeunes enfants liés par l’amour et l’amitié vont connaître bien des tourments. 


  Un jeune idéaliste, Manolo, amoureux de la musique et de la belle Maria, va voir son cœur balancer entre attachement aux valeurs familial et désir d’émancipation. Joaquim, son compère de toujours convoite lui aussi la jeune fille. Bagarreur et arrogant (sur les bords), il va tout tenter pour évincer son concurrent. 
Une joute digne des romans chevaleresque s’entame alors. Chaque champion est protégé par une puissance. La Muerte et Xibalba soutiennent leur favori dans un énième pari. Tous les coups sont permis et bientôt l’un devra triompher et s’élever par la simple force de son esprit.



  Au-delà d’être un film d’animation, La Légende de Manolo livre une morale avec délicatesse et justesse. Le manichéisme n’est pas porté à son paroxysme bien qu’il soit l’un des fondements du film. Le décalage et la légèreté sont amenés par une bande-son choisie et rythmée. 



  Contrastant avec le sérieux du sujet, les couleurs et les nombreuses situations cocasses apportent un souffle de vie dans ce monde où la peur et le chaos règnent. Ainsi Ennio Morricone fait une brève apparition sonore, avec The Ecstasy of gold, titre bien choisi et connu The Good, The Bad and the Ugly (1966) de Sergio Leone. L’aura des plus grands maîtres du western plane sur cet animé. Attention à vous muchachos et bandits !!!!
   

 La légende de Manolo de Jorge R. Gutierrez, sorti en salles le 22 Octobre 2014

jeudi 16 octobre 2014

Mommy

HYPERPRODUCTIVITE.

  Véritable touche à tout, Dolan nous livre une fresque sociale sur l’identité et les relations de filiation. Qu’il soit devant ou derrière la caméra, ce jeune prodige surprend toujours autant par la richesse de sa réalisation et la finesse du discours sous-jacent. 

  Pour son cinquième film et alors qu’il a soufflé ses 25 bougies en mars dernier, le public et la critique sont au rendez-vous pour rencontrer Mommy
Explorant sous un nouvel angle la thématique de la figure féminine, Dolan fait ici un focus sur la mère dans toutes ses complexités et variations. A la fois femme, amante ou protectrice, elle est filmée sous le prisme d’un réalisme débarrassé de toute supériorité. Face à l’existence simple de cette famille déchirée, aucun misérabilisme n’est admis. Le spectateur est le voyeur détaché d’une situation dont il ne peut se défaire. 


   Canada, 2015. Diane Desprès, dit « Die » reçoit un appel du centre d’éducation : son fils a commis l’ultime délit. Adolescent diagnostiqué TDAH, impulsif et violent, Steve a écumé toutes les structures d’accueil sans succès. Ce nouveau départ est sa dernière chance. A travers les épreuves du quotidien rythmé par les crises, emportements et problèmes financiers, cette mère et son enfant font tenter de joindre les deux bouts. Ce duo va bientôt devenir trio avec l’aide aussi inattendue que providentielle de Kyla. Personnage énigmatique et sympathique, elle va apaiser cette famille dans la tourmente. Un lien se crée… Equilibre, espoir et « rédemption » : tout est possible… 


   Les petits plus qui donnent envie de Voir ou de Revoir ce film. Sans entrer dans des considérations trop techniques, je voulais souligner des éléments qui m’ont marqués et qui le feront peut-être (et je l’espère) avec vous.
 Le cadrage rapproché permet d’isoler le sujet. Cette technique est ici la matérialisation d’un étau qui entoure les protagonistes. Présent ou parfois absent, cet élément visuel constitue à lui seul un actant du film. Se déployant ou se resserrant le cadre participe de la tension et de l’attention du spectateur. 
  Ajoutons à cela la bande-son qui est juste sublime. Les mélodies douces alternent avec rythmes endiablés et pop. Oasis, Dido, Céline Dion, Counting Crows ou encore Eiffel 65, une sélection de haute volée. 


   La performance des actrices est aussi spectaculaire. Qu’il s’agisse d’Anne Dorval campant le rôle de la mère ou de Suzanne Clément, bouleversante en tant qu’enseignante. Déjà vu dans les deux premières réalisations de Dolan, elles offrent encore une fois, l’étendue de leur palette scénique pour le plus grand bonheur du public. 
  Et pour finir, le mot ou plutôt la phrase sera « Les sceptiques seront confondus ». Maxime qui résonne, leitmotiv, leçon de vie, tant de qualificatifs qui donnent au film sa matière, son épaisseur sensitive, sa portée universelle.


       Mommy de Xavier Dolan, sorti en salles depuis le 8 Octobre 2014.  
Film récompensé au Festival de Cannes 2014, Prix du Jury.

Les Salauds Gentilshommes

Les Mensonges de Locke Lamora de Scott Lynch
Les Salauds Gentilsommes n°1
Editions Bragelonne

  Pour ma toute première chronique, j'ai choisi de vous présenter ce premier opus d'une saga qui s'annonce fort prometteuse. Mais tout d'abord, POURQUOI ce choix ?
C'est vrai, qui ne s'est jamais retrouvé dans la situation insoutenable de ne pas réussir à se décider, devant une étagère de livres tous aussi attrayants les uns que les autres ? Tel était mon cas, un beau matin, dans ma petite bibliothèque locale.

Heureusement, les éditeurs pensent à nous, pauvres indécis, et voici donc l'une des raisons pourquoi ce bouquin et pas un autre :

  Voilà qui est dit! Ce sacré George -auteur, rappelons-le, de la saga omniprésente ces temps-ci du Trône de Fer- m'avait déjà conseillé de lire la saga de Robin Hobb, et je n'ai pas eu à regretter d'avoir écouté la voix de ce brave homme.
Oh, et puis aussi, comme je suis d'une superficialité assumée, la couverture a fini de me convaincre: une silhouette accroupie sur un pilotis, une cité sur l'eau, une atmosphère sombre et mystérieuse... D'ailleurs sur ce point, l'édition anglaise est à mon avis plus réussie que celle de Bragelonne, même si, il est vrai, elles se ressemblent.


  Alors, ce fameux bouquin, de quoi parle-t-il donc ? Il ne se limite pas à une simple couverture, que diable ! 
  Locke Lamora est un voleur, mais pas un vulgaire tire-laine : avec ses compagnons, les Salauds Gentilshommes, il dévalise impunément les riches. Seulement voilà, le temps des emmerdes est arrivé et il a pour nom le Roi Gris. Alors que Lamora et ses comparses sont sur un coup préparé au poil de cul près (la routine, vraiment), ils vont être confrontés à un jeu mortel qui les dépasse et menace de détruire tout ce qu'ils ont accompli…

  Ce premier tome fut un véritable bonheur à lire, il m'a captivée de bout en bout. Il n'y a vraiment aucune longueur, aucun temps mort pour le lecteur, grâce à une construction du récit extrêmement bien organisée. Le récit est régulièrement interrompu par des interludes qui dévoilent petit à petit au lecteur des éléments du passé des personnages. Et puis, l'histoire est captivante : elle regorge de rebondissements et de surprises.

Source: http://akru.deviantart.com/
  Lire ce livre, c'est plonger dans un univers fascinant, dans la cité de Camorr, son réseau de crime organisé, ses cultes (le QG des Salauds se situe dans un temple), ses coutumes cocasses agrémentées de requins (des requins, les enfants ! Que faites vous encore là, alors que vous devriez déjà être en train de vous précipiter dans la librairie la plus proche pour acquérir cet item fabuleux?!)… Et n'oublions pas l'humour ; des dialogues sont vivants, souvent agrémentés de sarcasmes qui réjouissent le lecteur.

  Ce premier opus de la saga des Salauds Gentilshommes m'a laissé un souvenir extrêmement positif, c'est une histoire qui m'a tenue en haleine du début à la fin. J'ai ris -ricané, souvent-, j'ai retenu mon souffle une bonne centaine de fois, failli pleurer une fois ou deux. Que du bon, j'vous dis.
  Ce fut ma bonne surprise de l'été, et c'est avec un enthousiasme certain que je m'apprête à lire la suite, à savoir Des horizons rouge sang (éditions Bragelonne).


Horns

FABLE MODERNE.

  Horns, voici un film qui porte bien son nom. Décidément Alejandro Aja a une passion dévorante et brûlante pour tout ce qui touche au monde démoniaque. Il a notamment signé La colline a des yeux (2006) ou encore Mirrors (2008). 
Que voir dans ce film si ce n’est l’adaptation moderne d’une fable tout droite tirée des entrailles de la Terre ? Dès la première séquence, aucun doute possible, nous allons vivre une saison en enfer. Entre jeux subtils de caméra et focus inquiétants, nous plongeons dans les abîmes en même temps que notre infortuné héros (ou devrait-on dire apprenti démon). 


  Le speech : Ignatus Perrish, jeune DJ prometteur, amoureux de Merrin depuis sa plus tendre enfance se réveille un matin accusé du meurtre sauvage de cette dernière. Tout l’accuse et pourtant… Un trou béant s’empare de son cœur et bientôt d’étranges protubérances apparaissent sur son front. D’où viennent ces cornes ? Sont-elles le signe de sa culpabilité ou des attraits magiques ? Rythmé par le son psychédélique de l’inimitable David Bowie, Ig va tenter de découvrir la vérité même si parfois certains secrets devraient rester enfouis.


  Nous retrouvons donc dans cette fable vue sous le kaléidoscope du mystère et du mysticisme, une Juno Temple qui campe un avatar de Salomé en danseuse aux sept voiles, un Daniel Radcliffe bluffant en apprenti démon et Max Minghella (notamment vu dans Agora du talentueux Alenjandro Amenábar, réalisateur entre autre du film Les Autres) en ami dévoué quoi que… Bref, ce film est un pur moment de détente (et un grand bravo pour la bande-son !).
  Et si en fin de compte tout ne se rattachait qu’à un souvenir, un signe, première manifestation d’un lien indéfectible et quasi magique ?


Et bien sûr, si ce n’est déjà fait, courrez acheter le livre dont le film est adapté : Horns de Joe Hill (fils du ô combien célèbre Stephen King, ça explique bien des choses dis-donc…).
Je laisse le bon soin à mon acolyte Oly de vous faire un topo sur le « Livre-source »...


    Horns, un film de Alejandro Aja, sorti en salles depuis le 1er Octobre 2014

dimanche 5 octobre 2014

Si je reste

DRAME YOUNG ADULT.

  Si je reste, que me restera-t-il ? Le nouveau film de R.J. Cutler interroge le spectateur sur la question du retour, de l’obstacle et du choix d’une adolescente, Mia Hall, plongée dans un semi-coma après un terrible accident de la route. Prisonnière de son corps, elle erre dans les couloirs de l’hôpital et suit ses proches dans leurs peines et tourments. 
Essayant de reconstruire peu à peu son histoire, elle va être confrontée un dilemme : partir ou rester

  Cette question est très présente dans les films « young adult » et notamment dans The Invisible de David S. Goyer sorti en 2006. Bien que la trame diffère, nous retrouvons ce motif de l’esprit errant qui guide plus ou moins la personne qui doit le sortir de son état « d’endormissement ». Un avatar de la Belle au bois dormant dirons-nous.


  En fond, nous retrouvons aussi l’histoire d’amour naissante et les premiers pas d’une jeune prodige du violoncelle dans le monde très fermé de la Julliard School de New-York. Avis aux amoureux de Beethoven et autres compositeurs de talent. Sur le chemin de la réussite, la passion sera double. Adam, bad-boy et rockeur connu et bientôt reconnu par ses pairs fait chavirer le cœur de notre jeune demoiselle. Pourtant, tout comme la musique faite de noires et de blanches, de rondes et de pause, leur amour connaîtra des soubresauts. Comment conjuguer ses passions ? Doit-on choisir l’une ou l’autre d’elle ?
  Si je reste est incontestablement la comédie dramatique à voir cette rentrée. Tout en jouant sur les sens  et sans entrer dans un pathos exagéré, R.J. Cutler nous livre un long métrage poétique et métaphysique. 


         Si je reste, de R.J. Culter, sorti en salle depuis le  17 Septembre 2014

jeudi 11 septembre 2014

Au premier regard

    
  ADOLESCENCE. 

   Si le cinéma a déjà exploré les chemins de l’homosexualité adolescente, notamment dans l’excellent film de Céline Sciamma Naissance des pieuvres, c’était sans compter sur le nouveau film brésilien de Daniel Ribiero qui rompt avec les codes de l’éveil aux sensCar comment se vit un amour naissant lorsque l’on est privé de l’une des perceptions essentielles : la vue
  

  Au premier regard tout est déjà joué. Pourtant, Léonardo, un jeune homme de 15 ans va apprendre qu’il n’est nullement besoin de voir pour être vu. Il rêve d’évasion et tente de s’affirmer dans une société où tous le contraignent à la dépendance. Son coming-out résonne à la fois comme un cri de colère mais aussi du cœur. Bien qu’il s’accommode de cette situation avec l’appui de sa meilleure amie Giovanna, l’arrivée d’un nouvel élève, Gabriel, va bousculer ses habitudes.


   Nous suivons l’apprentissage de ce trio qui oscille entre moments de doute et grands bonheurs. Les liens se nouent et se défont au fil des événements. Pourtant en filigrane, des questions subsidiaires rythment l’action. Qui pourra m’aimer pour ce que je suis ? Comment puis-je savoir que l’on m’aime? Tant de questions qui conduisent à des actions inattendues, des prises de positions étonnantes et parfois déconcertantes. Peu à peu le handicap s’efface pour laisser place à une réflexion sur le rapport aux autres et au monde. 
   Au premier regard est une bouffée d’air frais qui ne laissera personne indifférent. Acteurs, osmose, indépendance et conflit sont les maîtres mots de ce film déjà récompensé au festival de Berlin 2014.


Au premier regard, de Daniel Ribiero, sorti depuis le 23 Juillet 2014